Sabi Tauber

Sabi (abréviation d’Elisabeth) Tauber avait trente-trois ans quand elle a rencontré Jung lors d’une conférence qu’il donnait à Rapperswil en 1945 devant l’assemblée des médecins du Canton de Zurich.  C’est dans les vestiaires, lorsqu’il enfilait son manteau, qu’elle a osé l’aborder en le fixant dans les yeux : « Monsieur, je dois venir vous voir. »

Sabi avait vécu des situations douloureuses dans son enfance et la tension insupportable qui régnait dans sa famille noircissait son enfance et son adolescence à tel point qu’elle se jurait de ne jamais fonder de foyer, de ne jamais avoir d’enfants, de ne jamais se marier. Le destin par contre lui a envoyé, tout au début de ses études de médecine, un Ignaz bourré de vitalité et d’enthousiasme qui rêvait d’avoir au moins une douzaine d’enfants…

Après Roswith (née en 1937), Jürg (1938), Christian (1942) et Lotti (1944), Sabi, qui avait des problèmes cardiaques, ne voulait plus avoir d’enfants. Mais en 1950 est née, contre tout et tous, la cadette Marianne… Et c’est là que commence son journal intime : Sabi s’occupe de la tombe de sa mère Emma, alors que la petite nouveau-née babille à côté, dans sa poussette.

Entre les années 1945 et 1950, Jung a d’abord envoyé le jeune couple en analyse chez ses deux collaboratrices : Ignaz à Marie-Louise von Franz et Sabi à Barbara Hannah. Ensuite, en préparant son livre sur la synchronicité, Jung a introduit Sabi dans son groupe de statistiques, où elle devait établir le thème astral de cent personnes gravement accidentées à l’hôpital cantonal de Winterthur, noter leurs rêves avant et après leur accident, consulter avec eux le Yi King et tirer les cartes du Tarot et de la Géomancie.

Ces cinq « méthodes irrationnelles », Sabi devait apprendre à les connaître non seulement pour compenser son unilatéral rationalisme, mais aussi et surtout pour mieux supporter et comprendre son mari unilatéralement irrationnel, intuitif et irascible. Ignaz était un médecin généraliste très apprécié des ouvriers italiens de la ville industrielle de Winterthur. Né à Alexandrie, il adorait les mythes de l’Ancienne Egypte, qu’il interprétait avec une intuition galopante — ce qui agaçait les égyptologues universitaires de l’époque.

Jung et Marie-Louise von Franz essayaient d’éduquer Ignaz dans une discipline scientifique sans pourtant étouffer son enthousiasme. Ainsi s’est approfondie une amitié entre Jung et le couple Tauber (une partie de leurs lettres est publiée dans : C.G. Jung, Correspondance, vol. III et V) ; et à partir de 1955 Jung est régulièrement venu leur rendre visite à Winterthur, où il  répondait à toutes sortes de questions (c’est l’objet du livre Entretiens).

C’est surtout l’individuation, cette évolution intérieure de Sabi au contact de Jung, en plus de son travail analytique régulier avec Barbara Hannah, qui a su contrebalancer son rationalisme, rallumer sa flamme vitale étouffée dans son enfance, et donner un sens à cette mère de cinq enfants nés avant, pendant et après la deuxième guerre mondiale.

Quand Sabi rencontrait Jung, elle notait ses paroles et les reportait fidèlement dans un cahier. Les échanges qu’ils ont eus sur l’astrologie, le monde irrationnel, mais aussi sur les processus intérieurs, le vécu et les rêves de Sabi ont duré une douzaine d’années et, par leur profondeur et leur teneur, peuvent être qualifiés d’analyse. C’est ce qui fait l’objet du livre Mon analyse avec Jung.